Il faut que je vous avoue un secret un peu honteux
pour un(e) généalogiste. Quand je bloque sur un personnage de ma généalogie,
quand je ne sais plus où chercher, je me retourne vers mon ami le moteur de
recherche.
C’est de cette manière que j’ai découvert la vie
mouvementée d’Emilie Deharveng, l’héroïne de mon premier rendez-vous ancestral
publié sur Facebook. Je n’arrivais pas à trouver son acte de décès et en
désespoir de cause, j’avais tenté ma chance et j’ai eu raison.
Quelques temps plus tard, alors que je ne parvenais
pas à trouver l’acte de décès d’un de mes collatéraux, Charles Deharveng, directeur
des Charbonnages du Levant, à Cuesmes, en Belgique, j’ai demandé à mon célèbre ami
de m’aider.
Et là, c’est le drame… début d’une nouvelle
aventure généalogique dont je ne connais toujours pas l’issue.
Un des résultats de recherche m’apprend qu’il
existe un lac et une rivière Deharveng au Canada. Vu le caractère relativement
rare de ce nom, une petite lumière s’allume immédiatement en moi et j’abandonne
mon Charles pour pousser mes recherches.
Je découvre que la rivière et le lac sont situés dans
le territoire non organisé de la Rivière-Koksoak, situé dans la région
administrative du Nord-du-Québec. En bref, c’est très grand – 307 000 km²
environ, il y fait très froid et d’après Wikipedia, en 2006, le recensement fait
état de 15 habitants (le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on n’est pas
dérangé par les voisins 😉 ) !
Le site de la Commission de toponymie du Québec me donne d’abord le
nom autochtone de ces lieux (que je vous laisse tenter de prononcer…) puis l’origine
du nom officiel : « Le nom que l'usage a attribué à ce lac est celui de
Charles Deharveng, né en 1919, père oblat originaire de Tournai, en Belgique,
arrivé au Canada en 1946. Il a d'abord exercé son ministère chez les Inuits, à
Salluit, pendant sept ou huit ans, et successivement à Goose Bay, Wabush et
Labrador City. Il a été longtemps secrétaire de la Commission scolaire du
Labrador. En 1991, le père Deharveng se trouvait à Fort Liard (diocèse de
MacKenzie-Fort Smith), dans les Territoires du Nord-Ouest. »
Ces quelques lignes sont riches en informations et
m’interpellent encore un peu plus.
Une rapide recherche sur mon logiciel de généalogie
et je découvre que ce Charles Deharveng que je ne cherchais pas est bien
présent dans mon arbre et est le petit-fils du fameux directeur des
Charbonnages du Levant – Flénu… Vous suivez ???
Tout d’abord, un peu d’état civil pour vous le
présenter.
Charles est né le 4 mars 1919 à Ghlin près de Mons
en Belgique, du mariage de Charles et de Jeanne Stroobants. Selon les informations
trouvées sur internet et, pour certaines, confirmées par des actes d’état
civil, il a quatre frères et sœurs dont l’une a également émigré au Canada où
elle s’est mariée et y est décédée en 2015. L’un de ses frères était également
père oblat de Marie Immaculée, en Belgique où il est décédé en 2011.
Comment un fils de bonne famille né en Belgique
a-t-il pu se retrouver dans cette partie aussi reculée du Canada, loin des
siens et de ses habitudes de vie ?
Pour répondre aux nombreuses questions qui se
bousculaient dans ma tête, j’ai tenté de retracer son parcours de vie. Et le
moins que l’on puisse dire, c’est que sa vie fut bien remplie, même s’il me reste
beaucoup de choses à explorer…
Je vous raconte.
Charles fait ses études au Collège-Abbaye de Bonne
Espérance, situé dans le village de Vellereille lès Brayeux, dans le Hainaut,
où les Deharveng étaient solidement enracinés avant la Révolution.
Historiquement, un certain Philippe Deharveng
appelé aussi Philippe de Bonne Espérance fut désigné prieur de cette abbaye en
1130. Bien que je suppose un lien entre Philippe de Bonne Espérance et la
famille Deharveng(t), je n’ai pas encore pu l’établir de façon certaine.
Très jeune, sa vocation religieuse est forte. A
l’âge de 18 ans, le 8 septembre 1937, il prononce ses premiers vœux. Puis, le
13 avril 1941, viennent ses vœux perpétuels. Il est finalement ordonné prêtre
le 12 juillet 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale.
D’ailleurs, en 1939, au moment où la Guerre éclate,
Philippe fait son service militaire. Pendant
cette période, il mène de front son service militaire et ses études de
prêtrise.
Il sera frère missionnaire Oblat de Marie Immaculée.
Un article de presse mentionne qu’il est alors
capturé par les allemands mais qu’il fut « l’un des cinq » qui
parviennent à s’échapper dans les Ardennes, où il est ordonné prêtre. Je n’ai malheureusement
rien trouvé d’« officiel » pour le confirmer, ni sur ces cinq évadés.
Il se serait associé avec un groupe de résistants
qui s’opposait aux allemands par des obstacles sur les voies de chemin de fer,
par la communication d’information aux alliés et en faisant passer des
aviateurs alliés de retour en Angleterre par la France et l’Espagne. Son groupe
aurait été responsable du retour de près de 200 aviateurs en Angleterre.
La seule photo dont je dispose date d’ailleurs de
cette époque et figure sur le site internet du Centre d’études guerre et
société (CEGESOMA) des archives de l’Etat belge. On le voit en août 1944, au
milieu d’enfants dont 7 petits juifs cachés pendant la Seconde Guerre mondiale
au Home de Haversin.
![]() |
Aout 1944 - Home de Haversin - Source : CEGESOMA |
Je le retrouve à New-York le 6 mars 1946, prêt à débarquer
d’un bateau, le Henry Adams ; il était parti d’Anvers le 21 février précédent.
Le registre des passagers établi à l’arrivée aux Etats-Unis m’apprend que
Charles est missionnaire, qu’il parle français, flamand, anglais et allemand.
Il est également fait mention de la dernière ville où il a vécu avant de
quitter l’Europe : Jambes, près de Namur. De nombreux autres prêtres font
également le voyage jusqu’au Nouveau Monde en même temps que Charles Deharveng.
Un journal catholique de Savannah en Géorgie m’apprend
que le 25/05/1946, il est à Ottawa, au Canada, prêt à partir vers la mission de
la Baie d’Hudson pour servir avec d’autres Oblats chez les eskimos.
Les Oblats sont en effet connus depuis le XIXe
siècle pour leurs missions auprès des Inuits : ils ont produit de nombreux
livres ou articles sur les missions du grand nord canadien qui a tenu en
haleine les foyers catholiques jusqu’au milieu du XXe siècle. C’est peut-être ce
qui a forgé la vocation de Charles.
Comme les autres missionnaires, il a contribué à l’« évangélisation »
des peuples autochtones du Grand Nord Canadien.
Je n’ai pas beaucoup plus d’information sur sa vie
au Canada. Les recherches généalogiques ou historiques dans ce pays me sont relativement inconnues.
Je sais simplement qu’il a servi dans diverses paroisses, principalement dans le Grand Nord, dont la
communauté de Fort McMurray, dans la province de l’Alberta, entre 1978 &
1979.
![]() |
Source : findagrave.com |
Il décède le 31 mai 2007 à Saint-Albert, près d’Edmonton,
province d’Alberta, à l’âge de 88 ans. Il est inhumé au cimetière catholique
romain de Saint-Albert.
Voilà donc l’état actuel de mes recherches sur
Charles Deharvengt. Je devrais recevoir sous peu des informations sur sa vie en
Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale mais je suis toujours en quête d’éléments
sur sa vie et ses missions au Canada.
Edit : Alors que je m’apprêtais à publier cet
article, j’ai découvert qu’une revue historique belge vient de consacrer un
article à Charles. J’ai donc écrit pour obtenir un exemplaire de cette revue et
en réponse, j’ai reçu également des copies de lettres où il raconte les
rudesses de l’hiver canadien et ses activités dans différentes paroisses du
Grand Nord canadien… L’enquête continue…